Article d'André Picot

Publié le par gargazland84

Publié le 5 mai 2011, Fabrice Nicolino,  in Planète sans visa
La dernière fois que j’ai eu le bonheur de serrer la main d’André Picot, ce fut à l’enterrement d’un homme que je continue d’aimer, Henri Pézerat. Henri, qui me manque, et grâce à qui l’amiante est enfin devenu un scandale complet. Les deux hommes se connaissaient bien, et s’appréciaient hautement. Ils avaient tous deux mené une belle carrière scientifique au CNRS, et assumé, chacun à sa façon, une pratique différente de leur fonction. Henri, qui était au fond de l’âme un militant, relia sans cesse son extrême rigueur et la défense des exploités. André, plus réservé, mal à l’aise dans le conflit, demeura dans une ombre relative, non sans avoir constamment apporté sa pierre à l’édifice de délicates vérités.
Créateur et ancien directeur de recherche de l’Unité de prévention du risque chimique au CNRS (en retraite), il a fondé une association aussi remarquable que méconnue (ici), ATC, à la frontière entre toxicologie et chimie. Un vaste triangle des Bermudes où disparaissent chaque année des milliers de prolétaires français, dans l’indifférence la plus totale de ceux qui paradent à la télé. André Picot - avec la collaboration de Jérôme Tsakiris, de Joëlle et Pierre David, d’ATC également - vient de publier un rapport de haute tenue, qui n’est certes pas une publication scientifique, mais qui n’a rien à voir avec Pif le chien. Vous pouvez la télécharger directement à l’adresse suivante : http://atctoxicologie.free.fr/, puis en cherchant le dossier Gaz de schiste, daté de mai 2011. C’est très facile.
Or donc, il s’agit encore de gaz de schistes. Les lecteurs de Planète sans visa commencent à connaître. Je ne vais pas commenter en détail ce document exceptionnel de 46 pages, qu’il me faudra d’ailleurs plusieurs jours pour digérer. D’ores et déjà, je peux vous garantir qu’il contient des informations remarquables. Et inquiétantes. Je n’en prendrai qu’une : l’affaire des morts subites d’oiseaux aux États-Unis. On a parlé au début de l’année de pluies d’oiseaux (ici), un peu comme ces pluies de poissons du merveilleux écrivain Haruki Murakami dans son célèbre roman Kafka sur le rivage. Plusieurs personnes, ici même - je songe à Ourse - ont tenté d’alerter sur ce phénomène. À ma grande honte, je n’y ai pas attaché d’importance.
Picot revient en scientifique sur cette affaire, et voici ce qu’il écrit, à propos bien sûr de l’extraction des gaz de schistes  : « Concernant cette dernière éventualité, diverses roches en particulier riches en hématite (Fe2es O3), hébergent des colonies de bactéries quasi-anaérobies, sulfato-réductrices comme la Dulfovibrio desulfuricans, qui se nourrissant  de sulfures métalliques (pyrites…) libèrent du sulfure de dihydrogène (H2 S) gaz très toxique rencontré de temps à autre dans les gaz remontés au cours de la fracturation. Il ne faut pas oublier que ce gaz nauséabond (à l’odeur d’œuf pourri), tue plus rapidement que le monoxyde de carbone (CO), et est par ailleurs doué d’un effet anesthésiant puissant sur le nerf olfactif. Ceci pourrait expliquer certains décès dans la population vivant à proximité des exploitations, mais également certains événements comme les “pluies d’oiseaux” constatées aux Etats-Unis ».
Voilà qui apporte de l’eau - non polluée - au moulin des opposants et des refusants, dont je suis comme vous le savez. Pour le même prix, un extrait - page 240 - de mon livre Qui a tué l’écologie ? Cela ressemble à de la publicité, mais c’est de l’information. On va y retrouver, comme de juste, un certain André Picot. Attention, c’est parti.
Thierry Chambolle et les incinérateurs
Autre exemple plutôt extraordinaire : Thierry Chambolle. Cet ingénieur des Ponts a été le directeur de l’Eau, de la Prévention des Pollutions et des Risques au ministère de l’Environnement entre 1978 et 1988. Un poste évidemment stratégique. On le retrouve l’année de son départ du ministère au groupe Lyonnaise des Eaux, dont il a surveillé les activités pour notre compte à tous. Il en deviendra le numéro 3 et en fait  toujours partie aujourd’hui, bien que né en 1939. Est-ce moral ?
Poursuivons. Chambolle, passé au service de la Lyonnaise, n’oublie pas le service public, pensez bien. On le verra, au fil des ans, occuper en même temps des postes aussi prestigieux que ceux de président du conseil scientifique du BRGM – public-, président du Cemagref – public - et responsable de quantités de structures hautement utiles.
En 1993, il est aussi membre du « Comité des applications de l’Académie des Sciences », le Cadas. Quasi-académicien, Chambolle va animer un groupe de travail sur la dioxine, dont sortira le 20 septembre 1994 un stupéfiant rapport appelé : « La dioxine et ses analogues ». S’il est stupéfiant, c’est qu’il exonère la dioxine de pratiquement tous les problèmes qu’elle pose pourtant. Au même moment, l’agence fédérale américaine en charge de l’environnement, la célèbre EPA, publie un document terrible de 2000 pages sur les dangers de la dioxine, même à des doses infinitésimales.
S’il est stupéfiant, c’est qu’il a délibérément écarté les éléments fournis par l’un  des membres les plus éminents du groupe de travail, André Picot. Ce dernier, sans doute l’un des meilleurs connaisseurs de la dioxine en France, refuse dans un mouvement de révolte inédit que son nom figure dans le compte-rendu de l’étude.
S’il est stupéfiant, c’est que figure, au milieu de dizaines de pages techniques, un coup de pouce providentiel aux industriels de l’incinération. Citation : « Il est donc très souhaitable que soit évitée une réglementation excessivement contraignante » pour les émissions de dioxine dans les incinérateurs d’ordures ménagères.
S’il est stupéfiant, c’est que cet avis autorisé permettra le développement du parc d’incinérateurs le plus important de toute l’Union européenne. Avec émission de dioxine, bien sûr.
S’il est stupéfiant, c’est qu’à la date de publication du rapport de l’Académie des Sciences -1994 -, Chambolle est depuis six ans patron de la Lyonnaise. Laquelle fabrique aussi des incinérateurs. Est-ce moral ? La question a été posée plus haut.
L’extrait est fini. À la prochaine.

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